Sur le front

Entre mai 1917 et juillet 1918, les tunneliers néo-zélandais donnent la priorité de leur activité à l’aménagement d’ouvrages sous les tranchées de premières lignes[1]. Les opérations de sape et de mine qui les occupaient sous le no man’s land, sont désormais terminées. Dès lors, le travail consiste à la création d’une véritable vie souterraine, dominée par le creusement de cantonnements.

Suite à la bataille d’Arras, les troupes britanniques fixent leur nouvelle position à l’Est du village de Monchy-le-Preux[2]. Les tranchées sont entièrement à aménager. Le secteur de la compagnie s’étend de la route d’Arras-Cambrai à quelques 450 mètres au nord de la Scarpe soit une zone d’environ 10 kilomètres carrés. Les tunneliers se mettent à creuser des logements plus adaptés que les premiers abris semi-enterrés dans le parapet des tranchées, réalisés à partir d’août 1915, par les fantassins pour se protéger de l’arrivée de l’hiver.

L’activité des tunneliers est soumise aux aléas de la guerre et des combats. Trois équipes, composées chacune d’un sous-officier et de quatre sapeurs se relaient nuit et jour[3]. Ils sont assistés par les fantassins eux-mêmes, qui participent à la création de leur propre logement. Le même rituel est répété tous les jours. Chaque section de la compagnie travaille dans un secteur précis du front.

Les hommes se trouvent trop éloignés d’Arras pour rester dans leur quartier situé dans la ville. Aussi, ils établissent un cantonnement avancé dans une carrière souterraine située sous les ruines d’une ancienne ferme près de la route de Cambrai[4]. Pourtant, tous les hommes ne sont pas employés sur le front. D'autres s'occupent de préparer le matériel nécessaire, notamment les planches de bois indispensables pour aménager les cantonnements souterrains.

Au début du mois de septembre 1917, les tunneliers se dotent de leur propre scierie qu’ils construisent entièrement dans un hangar, près de la gare d’Arras, dans le quartier de Ronville[5]. Les planches de bois sont ainsi entreposées par centaines près des lignes de chemins de fer et envoyées vers le front dans des wagonnets. Réceptionnées à proximité des tranchées, elles sont ensuite utilisées dans les différents travaux en sous-sol.

La scierie à Arras

Photographie de Henry Armytage Sanders

Album 419 H351, Musée du mémorial de guerre d'Auckland

Aménager le sous-sol

L’emplacement des travaux sous terre est de première importance. Un ouvrage se doit d’être le plus près possible d’une route ou d’une voie de communication praticable, afin de permettre aux tunneliers d’acheminer outils et matériels pour sa réalisation. L’étude au préalable du sous-sol fournit les meilleures zones de creusement. À Arras, la géologie de craie blanche est particulièrement favorable aux ouvrages en sous-sol. Elle offre une protection quasi-naturelle à quelques mètres sous la surface, généralement entre 6 et 8 mètres[6].

Les tunneliers n’ont plus qu’à se mettre au travail. Avant de commencer un ouvrage, ils préparent son accès dans la tranchée. Ils creusent tout d’abord un trou dans le parapet de la tranchée. Ce trou doit recevoir ensuite quatre cadres de bois en forme de rectangle de 1,90 mètres de haut sur 1,05 mètres de large[7]. Ces cadres sont renforcés pour pouvoir maintenir le plafond du tunnel. À partir de cette nouvelle entrée, un escalier est creusé. En bas de l’escalier est aménagé un couloir qui dessert les différentes pièces du souterrain.

Bien que les abris souterrains soient utilisés comme postes de secours, quartiers-généraux de section ou de compagnie, ils restent largement dominés par leur aspect de logement de troupes. Un cantonnement souterrain est un espace réduit d’environ 2,75 mètres de large sur 9 mètres de long, et qui accueille 24 hommes, pour les plus petits[8]. Les fantassins apprécient cette modeste chambre, vite ressentie comme un havre de paix au coeur du champ de bataille. Ils adoptent rapidement une rassurante vie de troglodytes.

Tous les soldats ne sont toutefois pas logés à la même enseigne. Le cantonnement des hommes du rang ressemble plus à un dortoir, avec lits superposés et humidité constante. A l’opposé, les officiers sont nettement mieux lotis. Certains de leurs abris comportent des chambres individuelles, parfois dotées de l’électricité, d’un mobilier de luxe tel qu’un lit en fer forgé ou encore de petits lavabos pour les ablutions quotidiennes ; une véritable « maison tout confort »[9]. Pour tous, ce petit espace en sous-sol devient un élément essentiel à la vie des hommes sur le front.

Miner une route à Etrun

Photographie de Henry Armytage Sanders

Album 419 H778, Musée du mémorial de guerre d'Auckland

Entre surface et sous-sol

Après 8 heures de travail sous terre, l'équipe de tunneliers revient à la surface. Ses hommes sont épuisés à force de creuser le calcaire. Un maigre réconfort les attend dans leur quartier avancé de Les Fosses Farm : une ration de rhum, une collation chaude et une vieille paillasse[10]. Après 9 jours dans les tranchées, les tunneliers ont droit à 3 jours à l'arrière, dans le camp de la compagnie à Arras, pour se laver et se reposer[11].

Ce répit de 3 jours est essentiel pour les hommes. Ces derniers bénéficient d’un air de meilleure qualité qui leur a fait défaut pendant leur construction souterraine. En effet, les tunneliers respirent les fumées de bougies, un air souvent vicié et une atmosphère particulière qui peut entraîner des problèmes respiratoires.

Les tunneliers enchaînent les travaux jusqu'en mars 1918, créant plus de 200 cantonnements souterrains. L'offensive allemande du 21 mars 1918 met néanmoins un terme à ces ouvrages en faisant reculer le front[12]. Les Allemands reviennent à moins d'un kilomètre d'Arras. Les tunneliers quittent leurs ouvrages sous terre pour se concentrer au creusement de nouvelles tranchées devant la capitale artésienne. Les maisons des grands boulevards de la ville sont connectées et renforcées pour servir de maisons fortes. Tous s'attèlent à la défense d'Arras[13].

Les Allemands n'arrivent pas à prendre Arras. Le front se stabilise devant la ville. Les tunneliers préparent de nouveaux nids de mitrailleuse et abris souterrains sur l'ensemble du front, continuant leur long et patient travail. Avec le retour au calme dans les tranchées, les ouvrages en sous-sol se multiplient considérablement : 89 cantonnements, nids de mitrailleuse et batteries de mortier souterrains sont commencés pour le seul mois de juin 1918[14].

La compagnie reste à Arras jusqu’au 15 juillet 1918, date à laquelle son transfert est décidé sur le secteur de Marieux, à la limite du Pas-de-Calais et de la Somme, près de Doullens. Les félicitations sont nombreuses de la part des supérieurs britanniques et néo-zélandais[15]. Bien que la compagnie quitte Arras, la mission des tunneliers néo-zélandais reste toutefois identique : toujours creuser.