La Reconversion

Durant le mois de septembre 1918, 68 hommes de l’unité suivent une formation en matière de construction de ponts à Rosel en Normandie[1]. Ce groupe s'était déjà illustré dans l'édification d'une passerelle sur la route de Bapaume à Cambrai, au niveau du canal du Nord, en novembre 1917[2]. Fort de cette expérience, le général Little, ingénieur en chef de la IIIe armée britannique, et le général Harvey, ingénieur en chef du IVe corps, choisissent la compagnie pour construire un pont à Havrincourt, toujours sur le canal du Nord.

Commencé en 1913, ce canal est en construction au moment de la déclaration de guerre, si bien qu'il forme une sorte d’immense sillon sans eau. En septembre 1918, le canal délimite un front particulier entre Britanniques et Allemands. Une attaque alliée est en préparation d’ici les derniers jours de septembre 1918[3]. Si les Ire et IIIe armées la réussissent, un pont doit absolument être construit pour faire passer les camions de ravitaillement en armes et en vivres, mais également pour permettre le passage d’un nombre plus élevé de renforts.

Le site de construction du pont n'est pas facile. Il se trouvent entre deux immenses escaliers de briques qui consolident les côtés du canal et qui culminent à environ 30 mètres de haut. La distance qui sépare les deux côtés est, à cet endroit la plus longue du canal, plus de 55 mètres. La longueur maximum des ponts de l'armée britannique n'est que d’environ 40 mètres, insuffisant pour relier les deux côtés du canal[4]. Le pont, qui doit être construit, est constitué de pièces identiques et interchangeables à volonté. Ainsi, les tunneliers vont devoir réunir deux ponts pour n’en former qu’un, couvrant les 60 mètres entre les deux berges.

Au matin du 27 septembre, les Ire et IIIe armées britanniques débutent l'offensive sur les lignes allemandes situées à proximité du canal du Nord. Cette attaque est le signal de départ pour les tunneliers néo-zélandais qui se dirigent vers le site de construction avec l'ensemble du matériel.

Le pont d'Havrincourt en construction

Photographie du Lieutenant Robert H.P. Ronayne

MS 2008/45, Musée du mémorial de guerre d'Auckland

L'Exploit des tunneliers

Afin d’optimiser le rendement des hommes, deux équipes sont composées[5]. La première travaille de l’aube à midi et la seconde prend le relais jusqu’à la tombée du jour. À 6 heures, les tunneliers débutent l’ouvrage par le squelette du pont. Le plan prévoit la construction de l’ossature sur le côté ouest tandis que du côté est, deux tours en bois sont montées pour tirer et mettre en position la passerelle au-dessus du canal.

La structure du pont est réalisée sur des glissières qui permettront de guider le pont lors de sa mise place. En quatre jours, la structure est prête pour la grande manœuvre. Un contrepoids de 20 tonnes, réalisé avec des rails de chemin de fer, est posé à l’extrémité du pont pour contrebuter la partie qui se trouvera dans le vide lors du tirage[6]. Des treuils sont installés sur les deux tours, pouvant soulever un poids total de 70 tonnes.

Le 1er octobre, à 17 heures, l’opération de tirage du pont commence. Deux jours plus tard, la structure se rapproche doucement de l’autre côté du canal. Mais le poids du pont fait pencher légèrement l’ossature si bien qu’elle se trouve à trois mètres sous le niveau de la berge[7]. Les deux tours de bois n’ont pour l’instant servi qu’à tirer le pont et non à le soulever.

La partie la plus dure de la manœuvre ne fait donc que commencer car à la moindre faute, le pont peut tomber. Les deux treuils sont donc actionnés et soulèvent lentement la structure de fer[8]. Centimètre par centimètre, l’ossature se rapproche de la bonne hauteur de la berge. Vers 18 heures, le pont est soulevé de quelques centimètres de plus que le sol. La structure est tirée une dernière fois et à 19 heures, l’ossature de fer touche l’autre côté du canal. Après deux jours de manœuvre, les deux berges sont reliées. Les tunneliers viennent de réaliser une prouesse d’ingénierie.

Les tunneliers sur le pont d'Havrincourt

Photographie de Henry Armytage Sanders

MS 2008/45, Musée du mémorial de guerre d'Auckland

Avancer vers la victoire

Entre la fin septembre 1918 et l’armistice, le sort de la compagnie néo-zélandaise est intimement lié aux mouvements des troupes d’infanterie. Le front n’est plus paralysé. En sept semaines, il connaît le recul le plus important du conflit et surtout le plus profond[9]. Toutes les armées alliées, depuis la mer du Nord jusqu’à la Meuse, sont en marche au même moment, imposant un repli général de l’ennemi vers l’est.

Les Alliées avancent prudemment alors que le travail des soldats du génie britannique est immense. Les principaux axes de communication sont coupés et doivent être remis en état rapidement : routes, voies de chemin de fer et ponts. Les soldats du génie britannique sont débordés. Les compagnies de tunneliers, comme celle de Nouvelle-Zélande, apportent ainsi une aide plus que bienvenue[10].

Les tunneliers néo-zélandais se voient confier des travaux de ponts qui semblent mineurs. Ils ne sont pas en première ligne et sont employés à quelques kilomètres derrière le front en mouvement de Cambrai vers Maubeuge. Leurs ouvrages sont pourtant essentiels pour poursuivre le mouvement des troupes vers l’avant.

Les ponts érigés par les tunneliers néo-zélandais permettent de franchir trois obstacles fluviaux majeurs depuis le canal de l’Escaut, traversant Cambrai et descendant vers le canal de St-Quentin au sud, jusqu’à la Selle et l’Écaillon, deux rivières pratiquement parallèles, séparées de seulement trois à quatre kilomètres, au sud-ouest de Le Quesnoy[11]. Noyelles-sur-Escaut, Masnières, Cambrai, Solesmes, Saint-Waast et Romeries sont autant de communes où les tunneliers rétablissent des voies de communication routière, mais aussi ferroviaire au-dessus d'obstacle naturel.

Au-delà de leur reconversion réussie, les tunneliers néo-zélandais travaillent avec tous les membres du corps des ingénieurs à la reconnexion d’un territoire morcelé et complètement désuni. Cette tâche continue après la fin des hostilités le 11 novembre 1918.