Naviguer vers le conflit

Au matin du 18 décembre 1915, les hommes préparent leur paquetage et se rassemblent en rangs sur le champ de courses d'Avondale. Tous portent l’uniforme kaki et le chapeau de cérémonie particulier des soldats du génie néo-zélandais, orné du « puggaree », un bandeau à trois lignes qui leur est propre composé de deux lignes kaki enserrant une troisième de couleur bleu, ainsi que du badge des New Zealand Engineers et de leur devise : « Quo fas et gloria ducunt – Où le devoir et la gloire conduisent ».

L’entraînement n'est pas pour autant terminé. Les hommes ne sont pas encore des militaires et le long voyage donne l'occasion de poursuivre la formation sur le navire[1]. Les tunneliers se rendent à pied au port d’Auckland, où un bateau, le Ruapehu, les attend. Après avoir déposé leur paquetage à bord, les tunneliers ont droit à un maigre repas. Le voyage commence mal. Les cuisiniers sont en grève pour protester contre les cadences infernales de transport[2].

Les tunneliers ont pris leur petit-déjeuner très tôt et l’unique repas servi est une vieille ration de biscuits et de fromage. C’est une compagnie affamée qui descend sur les quais pour parader à travers la ville jusqu’à la statue de Sir George Grey entre Queen Street et Grey’s Avenue[3]. À cet endroit, le Ministre de la Défense, James Allen et le maire d’Auckland, Christopher Parr, font un discours, devant la population rassemblée en cette occasion. Les esprits des tunneliers sont surtout tournés vers leur estomac vide.

Les tunneliers se remettent ensuite en marche. Sur le chemin qui les mène au port, la foule et des amis les encouragent chaleureusement[4]. La nuit vient de tomber lorsque les tunneliers s'installent à bord du navire. Les hommes sont soulagés d’apprendre que la grève est terminée et que tout est rentré dans l’ordre pour le voyage. Le Ruapehu lève l'ancre pour son long voyage vers l’Europe et vogue doucement à travers l'océan Pacifique.

Dernière parade à Auckland

Photographie du Lieutenant Robert H.P. Ronayne

MS 2008/45, Musée du mémorial de guerre d'Auckland

Autour du globe

Après avoir passé le Cap Horn, la pointe sud du continent américain, le Ruapehu remonte vers le port de Montevideo en Uruguay pour y faire escale le 8 janvier 1916. L’Uruguay étant un territoire neutre, les tunneliers ne sont pas autorisés à débarquer. L’escale permet de remplir les réserves de charbon qui ont bien diminué depuis la Nouvelle-Zélande.

De Montevideo, le bateau fait route vers Dakar, au Sénégal, sur la côte ouest de l’Afrique. Jusqu’à cette étape, la vie sur le Ruapehu est tranquille. Un programme d'entraînement est institué dès le départ et suivi jusqu’à la fin du voyage[5]. Des exercices de musculation et de gymnastique ont lieu tous les jours sur le pont du bateau pour garder la forme physique acquise à Avondale. Des activités culturelles sont également proposées. Au passage symbolique de la ligne équatoriale, tous les hommes ont même droit au fameux baptême de l'équateur.

À Dakar, le Major Duigan obtient des autorités françaises le débarquement de ses hommes pour une marche à travers la ville, à condition que la compagnie ne crée pas d’incident. Les tunneliers n’ont pas mis pied à terre depuis près d'un mois. Une fois à terre, ils deviennent rapidement amicaux, chantent et amusent la foule rassemblée en ville[6]. Les soldats sénégalais leur répondent en entonnant une vigoureuse « Marseillaise ». Au moment de réembarquer, les hommes divertissent une dernière fois les badauds en leur présentant la danse guerrière traditionnelle māorie : le haka.

Un canon de 120 mm est installé sur le pont du navire et des artilleurs embarquent pour gérer les tirs en cas de nécessité. En effet, en quittant Dakar, le bateau entre dans la zone de guerre. L’équipage et tous les hommes de la compagnie sont en alerte[7]. Les Allemands ont été repérés le long des côtes marocaines et portugaises. Ils ont déjà capturé et coulé plusieurs navires alliés. La fin du voyage se passe néanmoins sans aucun incident. Le Ruapehu appareille dans le port de Plymouth, sur les côtes de la Manche, en Grande-Bretagne, le 3 février 1916.

Le baptême de l'Equateur

Photographie du Lieutenant Robert H.P. Ronayne

MS 2008/45, Musée du mémorial de guerre d'Auckland

En route vers le front

La compagnie débarque immédiatement et est transférée à Falmouth. Durant un mois, les tunneliers vont reprendre la formation dans de meilleures conditions que sur le pont du Ruapehu. La compagnie est entassée dans un train en direction de Falmouth où elle est accueillie par la population qui a dressé un banquet en leur honneur[8]. Après le repas, l’unité traverse la ville pour rejoindre le camp de Hornwork, situé sur un promontoire couronné du château de Pendennis.

En un mois, les tunneliers reçoivent une formation bien maigre dans la lutte souterraine. Leur entraînement s'articule surtout autour du tir au fusil, du combat à la baïonnette et de longues heures de marche[9]. Le 7 mars 1916, les paquetages sont prêts, les hommes peuvent partir à la guerre. Les adieux sont émouvants, toute la ville est rassemblée. Un officier et 69 hommes restent à Falmouth comme renfort. Ils sont ensuite transférés au dépôt de commandement néo-zélandais à Hornchurch.

La compagnie fait route jusqu’à Southampton et embarque sur un ferry le 9 mars à 17 heures. Les hommes passent une nuit froide sur la Manche et arrivent seulement à minuit au Havre, en Normandie. La compagnie de tunneliers de Nouvelle-Zélande est la première unité néo-zélandaise à rejoindre le front occidental.

Au Havre, un groupe d'un officier et de 25 hommes se séparent du reste de la compagnie et sont détachés au camp de base des Royal Engineers, les soldats du génie britannique, à Rouen. L'unité prend le train à 7 heures le 11 mars et arrive le lendemain à 6 heures 30, à la gare de Tincques, dans le Pas-de-Calais. Jusqu’au 14 mars, les hommes sont cantonnés dans des étables du village voisin, Chelers, en attendant leur zone d’affectation.

Le 15 mars, les tunneliers néo-zélandais font leurs premiers pas dans les tranchées du secteur du « Labyrinthe », à environ 5 kilomètres au nord de la ville d’Arras, situé entre les villages d’Écurie et de Roclincourt. Ils relèvent les sapeurs français de la 7/1 compagnie d’ingénieurs territoriaux[10]. Après avoir parcouru la moitié de la terre, les tunneliers peuvent commencer leur mission secrète.